Mort de Semira. Articles de presse belge

Extraits de: Edition du 25/09/98 - Rossel & Cie SA - LE SOIR Bruxelles

Le coussin aurait dû être utilisé «avec circonspection»

Au-delà de l'instruction judiciaire en cours sur la mort de Sémira et sur les responsabilités des gendarmes se pose la question de savoir si c'est le système mis en place - l'esprit ou l'interprétation des directives d'octobre 1997 distribuées aux gendarmes chargés d'organiser les rapatriements - qui a généré ce drame. C'est une question qui, en amont, concerne aussi ceux qui ont préparé ce texte.

Celui-ci mentionne en tout cas (page 9) l'utilisation du «coussin» afin d'éviter les cris et les coups de dents, mais précise que la situation du concerné doit être continuellement évaluée, que le coussin doit être appliqué avec circonspection et qu'en cas de problème, il doit être immédiatement enlevé.

S'il apparaît que le drame résulte d'un dérapage du système et pas seulement de bavures individuelles, le parquet pourrait engager des poursuites visant ceux qui ont conçu et fait appliquer ce règlement. Il s'agit d'un «manuel» (de 14pages) concocté au sein d'une commission interne à la gendarmerie, en collaboration avec le cabinet du ministre de l'Intérieur. Sans recommander expressément l'usage de la violence ni le risque de coups et blessures, il préconise à tout le moins des méthodes qui aboutissent à de tels résultats. Puisque la réalité est là. Et que des dérapages antérieurs sont connus et ont été dénoncés.

Au parquet de Bruxelles, on nous dit n'avoir pas eu connaissance de l'ensemble de la problématique et n'avoir été ni informé ni consulté au sujet des procédures internes mises au point au ministère de l'Intérieur.

L'Office des étrangers dépend exclusivement du ministère de l'Intérieur. Hors de l'une ou l'autre rencontre dans une réunion, le parquet n'entretient pas de contact avec cette institution. En outre, la procédure d'expulsion est purement administrative et se déroule donc hors de l'intervention judiciaire, rappelle-t-on.

Le parquet était-il au courant des méthodes prescrites? La réponse officielle est non, bien que le porte-parole, le premier substitut Jos Colpin, ait évoqué la méthode du «coussin» dès mardi en disant que ça se faisait régulièrement chez les gendarmes, pour maîtriser les récalcitrants, d'étouffer l'intéressé.

Le système des escortes prévues pour les rapatriements forcés a évolué au cours des dernières années. Au début, les escortes étaient confiées aux inspecteurs de la Sabena. Quand les expulsions sont devenues plus problématiques, les pouvoirs publics ont pris ces escortes en charge. Ce système a évolué hors de la sphère judiciaire, rappelle-t-on.

Si le ministre modifie le «manuel», les directives seront-elles cette fois soumises au visa du judiciaire? Non. A moins que le ministre de l'Intérieur ne consulte son collègue de la Justice et que ce dernier ne soumette la question au collège des procureurs généraux, répond-on.

RENE HAQUIN avec M.d.M.
Le Soir

«De mon temps, il n'était pas question du coussin»

Le drame de Sémira a aussi choqué Michel Soumoy, qui dirigea jusqu'en octobre 1982 la police de la Sabena (dissoute depuis une dizaine d'années). Il fut, à partir de 1971, l'un des trois inspecteurs de sécurité en charge notamment, dans les années septante, de l'embarquement sur les vols Sabena des étrangers refoulés.

De mon temps, ces expulsions se passaient sans violence. Il n'était pas question du coussin. Et ce n'est qu'exceptionnellement qu'une personne était amenée menottée. Nous en avions en moyenne deux ou trois par semaine, se souvient-il. Assez souvent à destination du Maroc ou de l'ex-Zaïre. Des gendarmes les amenaient dans leurs locaux de l'aéroport et les accompagnaient jusqu'à l'avion. Notre rôle était d'informer le commandant de bord de l'embarquement d'un expulsé sur son vol. Si l'on craignait des problèmes, nous en informions le commandant. Je me souviens de cas où, sur refus du commandant d'embarquer une personne, nous n'allions pas jusqu'à bord.

Nous remettions la personne aux gendarmes. Ces expulsés embarquaient avant les autres, comme c'était le cas pour les malades ou les handicapés. Leur carte d'embarquement était remise à la chef de cabine. Les expulsés n'étaient jamais menottés dans l'avion. La mission de la Sabena était de les remettre à destination le plus humainement possible.

Michel Soumoy répète n'avoir jamais entendu parler du coussin dans ces années-là. On est peut-être devenus plus durs aujourd'hui qu'à mon époque...

R. Hq.
Le Soir
image extraite de RTBF

Edition du 26/09/98 - © Rossel & Cie SA - LE SOIR Bruxelles

Un véritable meurtre filmé en direct et en public

Durant plusieurs minutes, Sémira était incapable de respirer. Le personnel de bord, interrogé ce week-end, aurait tout vu.

La vidéo filmée par les gendarmes lors du transfert de Sémira a parlé. Elle est accablante et ne laisse que peu de place au doute. A l'intérieur de l'Airbus, trois gendarmes appliquent la technique du coussin à la jeune femme. Avec force et sans réelle circonspection. Durant plusieurs minutes, la tête de Sémira est plaquée contre le petit oreiller sans qu'elle puisse respirer, tandis que ses mains, menottées dans le dos, sont maintenues par un membre de l'unité de sécurité de Zaventem.

L'enregistrement commence dans les couloirs du centre fermé de Steenokkerzeel. Sémira est escortée par plusieurs gendarmes et descend les escaliers avant de gagner le garage de la gendarmerie. Tout se passe dans le calme. Vient alors le moment de l'arrivée à l'avion. Selon le scénario classique, l'expulsée monte à l'arrière, accompagnée de trois gendarmes. Elle bavarde et entonne même une chanson. Rien ne laisse présager le pire. Soudain, la bande est coupée.

Quand l'enregistrement reprend, on voit Sémira assise entre ses deux convoyeurs dans la rangée centrale de l'avion. Durant la majeure partie du film, on ne voit que le haut du torse des deux gendarmes. Rarement Sémira apparaît. Lorsqu'elle est visible, la jeune fille a la tête enfouie dans le coussin posé sur les genoux de son «voisin». Simultanément, le troisième homme en uniforme, lui aussi un maréchal des logis, maintient les poignets menottés de Sémira. La scène dure de longues minutes au cours desquelles le visage de la jeune Nigériane ne réussit à sortir que quelques brèves secondes. Etrangement, le troisième homme n'est pas inculpé.

Pendant ce temps, les gendarmes parlent entre eux, tout en «appliquant la consigne du coussin» qui, faut-il le rappeler, n'est prévue qu'en cas de force majeure et sans mettre en péril la vie de l'expulsé. On en est loin ici puisque non seulement la bouche de Sémira mais aussi son nez est plaqué contre le coussin. Une explication claire au premier résultat de l'autopsie qui parle d'un décès par asphyxie.

Pendant que Sémira est bloquée, les membres d'équipage et les premiers passagers entrent. Personne ne prête attention à la jeune femme qui ne peut ni crier à l'aide ni se débattre. Des mots sont même échangés entre les hôtesses et les gendarmes sans qu'aucune question ne soit posée à propos de Sémira. Des faits qualifiés de non-assistance à personne à danger par la Ligue des droits de l'homme qui s'est constituée partie civile contre le commandant de bord de l'Airbus. Rentré de Lomé vendredi matin, l'équipage va devoir justifier son attitude ce week-end à la juge d'instruction Colette Callewaert.

Le 17 février 1997, l'un des deux gendarmes inculpés avait déjà frappé Omar, candidat réfugié marocain de 40 ans. Opposé à son expulsion, Omar avait opposé une rébellion passive aux trois gendarmes qui l'accompagnaient. Les poignets et les chevilles entravés par des liens, le quadragénaire avait alors été frappé par le gendarme alors qu'il se trouvait dans une cellule de la gendarmerie à Bruxelles-National. Interrogé, le gendarme avait nié, affirmant n'avoir fait qu'un usage nécessaire de la force. En janvier dernier, le conseil d'enquête de la gendarmerie l'avait mis en «non-activité par mesure disciplinaire» pendant un mois.

Il est désormais en congé de maladie, tout comme son collègue. Jeudi soir, le commandement de la gendarmerie est venu rassurer le personnel de l'unité de sécurité de l'aéroport.

FREDERIC DELEPIERRE

Conseil des Ministres

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