Extrait du Monde (France)

Belgique: hommage à Sémira et nouveau ministre de l'Intérieur

Samedi 26 Septembre 1998 - 21h56 heure de Paris

BRUXELLES (AFP) - La Belgique a depuis samedi soir un nouveau ministre de l'Intérieur, Luc Van den Bossche, nommé en remplacement de Louis Tobback qui a décidé de partir pour de bon après un hommage rendu à Bruxelles par 5.000 personnes à Sémira Adamu, réfugiée nigériane victime d'une "bavure".

Surtout connu dans la région flamande dont il est l'actuel ministre de l'Enseignement, M. Van den Boosche, avocat de 51 ans qui a fait un bref passage au gouvernement fédéral en 1988, a été nommé immédiatemment après l'annonce de la démission définitive de Louis Tobback.

Sa nomination, entérinée par le roi comme le veut constitution belge, est une surprise car il ne faisait pas partie des noms avancés par la presse et par les analystes politiques en Belgique. Comme son prédécesseur, il est membre du parti socialiste flamand (SP).

Deux jours après la mort de Sémira Adamu, Nigériane de 20 ans étouffée par des gendarmes qui lui ont plaqué la tête contre un coussin pendant plusieurs minutes parce qu'elle s'opposait à son expulsion, M. Tobback tirait les conclusions de cette "bavure" en annonçant qu'il quittait son poste.

Dès le lendemain, le Premier ministre Jean-Luc Dehaene et ses ministres demandaient à leur collègue de l'Intérieur de réfléchir, ce qu'il acceptait, suspendant sa démission jusqu'à samedi soir.

Après "mûre réflexion" et "à son regret", M. Tobback est "arrivé à la conclusion qu'il lui était impossible de donner suite à l'appel du Conseil des ministres", selon la porte-parole de M. Dehaene.

M. Tobback s'est senti "trahi" par le commandemment de la gendarmerie qui n'aurait pas dû laisser un gendarme, déjà sanctionné pour violences, participer à l'expulsion et à l'étouffement de la jeune Nigériane.

Les "profondes excuses" et "les sincères condoléances" présentées par le commandement de la gendarmerie à la famille et aux proches de Sémira Adamu n'ont apparemment pas été suffisantes pour le convaincre de revenir sur sa démission.

Le maintien de la démission est intervenu au soir d'une forte mobilisation en faveur de la jeune réfugiée morte parce qu'elle ne voulait pas retourner dans un pays où l'attendait un mariage forcé avec un vieillard polygame.

Quelque 5.000 personnes lui ont rendu hommage à la cathédrale Saint-Michel de Bruxelles lors d'une cérémonie volontairement oecuménique, sans banderole ni slogan et à laquelle aucun parti politique n'avait été convié.

Tina, une cousine de Sémira vivant en Italie, a fait le déplacement pour suivre le cercueil blanc de la jeune femme jusqu'au coeur de la cathédrale.

La foule a écouté avec émotion les interventions de ceux et celles qui ont connu et aidé Sémira dans son combat, de courtes prises de paroles entrecoupées de chants africains et de musiques religieuses.

"Sémira avait 20 ans, elle aimait chanter, elle aimait les livres, elle aimait la liberté", a dit une militante du Collectif contre les expulsions, à l'initiative de la cérémonie.

Le Monde




Après la mort, mardi, d'une Nigériane lors d'une reconduite forcée

La panique saisit la Belgique

Par FLORENCE AUBENAS

Le samedi 26 et dimanche 27 septembre 1998

«On a l'impression que les employés [du centre fermé pour étrangers] faisaient n'importe quoi, dans un état de frousse et de précipitation totale.» Une assistante sociale à propos des incidents de vendredi

Bruxelles envoyée spéciale

e n'est pas une crise, mais un état indescriptible entre le chaos et l'hébétude qui secouait la Belgique vendredi, après la mort d'une jeune Nigériane mardi lors d'une tentative de rapatriement particulièrement violente. Vendredi, vers 18 heures, une brusque agitation a secoué le centre pour étrangers, fermé, près de l'aéroport de Zaventem, où Sémira Adamu était retenue avant sa reconduite forcée, comme plusieurs dizaines d'autres sans-papiers, en attente d'une décision administrative. D'après les premières informations, une vingtaine d'entre eux, en grève de la faim depuis la mort de Sémira, ont été embarqués et transférés vers un autre des six centres analogues du pays. En revanche, une poignée de clandestins, quinze environ, étaient tout simplement lâchés devant la porte, sans argent ni document d'identité. «Des employés du centre leur ont juste dit qu'ils avaient cinq jours pour quitter le pays, expliquait, ahurie, une assistante sociale sur place. On a l'impression que les employés faisaient n'importe quoi, dans un état de frousse et de précipitation totale.» Quelques heures plus tôt, au gouvernement, le ministre de l'Intérieur, Louis Tobback, qui avait présenté sa démission jeudi, a «suspendu cette décision jusqu'à samedi soir». Après le décès de Sémira, Tobback (SP, socialiste flamand) avait déclaré «assumer ses responsabilités», tout en soutenant que cette reconduite forcée s'était faite en toute légalité. Une manière d'affirmer sa confiance dans les 11 gendarmes, chargés d'escorter Sémira à bord de l'avion qui devait la conduire au Togo. Mais, jeudi soir, l'assurance de Tobback a vacillé. «Il a reçu comme un choc en apprenant que "ses" gendarmes lui avaient caché des choses», raconte un député. Un des hommes escortant Sémira avait déjà été suspendu un mois au début de l'année, pour avoir frappé un réfugié à coups de pied, alors qu'il était ligoté. Censé ne plus s'occuper des rapatriements, il avait pourtant été réaffecté dans ce service.

Vendredi, les pressions se sont multipliés pour que le ministre reste aux commandes. L'affaire tombe en effet à six mois des élections générales.

La Belgique des institutions tremble encore de l'affaire Dutroux, qui a coûté le ministère de l'Intérieur à Johan Vandelanotte, également SP, il n'y a même pas un an. En ce moment se déroule encore un procès-fleuve pour corruption mettant en cause les socialistes flamands et wallons. «Aucun parti au gouvernement (sociaux-chrétiens et socialistes des deux langues, ndlr) ne veut aujourd'hui d'une nouvelle crise, explique Xavier Mabille, politologue. En plus, qu'est-ce que vous voulez qu'ils disent?» Il y a deux ans à peine, le durcissement de la législation sur les étrangers avait été voté dans une unanimité étonnante: seuls quatre sénateurs de la coalition gouvernementale s'étaient prononcés contre, et les Ecolos furent l'unique parti d'opposition à afficher sa réprobation. Samedi, une cérémonie religieuse doit avoir lieu à Bruxelles, à laquelle le palais royal souhaite participer, sous une forme ou une autre. Avec une sorte de panique dans le regard, un parlementaire dit: «On verra après.» .

Un rassemblement à la mémoire de Sémira Adamu aura lieu ce samedi à 11 heures à Paris, devant l'ambassade de Belgique.
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